《茶花女》法语版第6章

来源:万语网发布时间:2012-12-13

je trouvai Armand dans son lit.

En me voyant il me tendit sa main brûlante.-vous avez la fièvre, lui dis-je.

-ce ne sera rien, la fatigue d' un voyage rapide,voilà tout.

-vous venez de chez la soeur de Marguerite ?

-oui, qui vous l' a dit ?

-je le sais, et vous avez obtenu ce que vousvouliez ?

-oui encore ; mais qui vous a informé du voyageet du but que j' avais en le faisant ?

-le jardinier du cimetière.

-vous avez vu la tombe ?

C' est à peine si j' osais répondre, car le ton decette phrase me prouvait que celui qui me l' avaitdite était toujours en proie à l' émotion dont j' avais été letémoin, et que chaque fois que sa pensée ou laparole d' un autre le reporterait sur ce douloureuxsujet, pendant longtemps encore cette émotiontrahirait sa volonté.

Je me contentai donc de répondre par un signede tête.

-il en a eu bien soin ? Continua Armand.Deux grosses larmes roulèrent sur les joues dumalade qui détourna la tête pour me les cacher.J' eus l' air de ne pas les voir et j' essayai dechanger la conversation.

-voilà trois semaines que vous êtes parti, luidis-je.

Armand passa la main sur ses yeux et me répondit :

-trois semaines juste.

-votre voyage a été long.

-oh ! Je n' ai pas toujours voyagé, j' ai été maladequinze jours, sans quoi je fusse revenu depuislongtemps ; mais à peine arrivé là-bas, la fièvrem' a pris et j' ai été forcé de garder la chambre.

-et vous êtes reparti sans être bien guéri.

-si j' étais resté huit jours de plus dans ce pays,j' y serais mort.

-mais maintenant que vous voilà de retour, ilfaut vous soigner ; vos amis viendront vous voir.Moi, tout le premier, si vous me le permettez.

-dans deux heures je me lèverai.

-quelle imprudence !

-il le faut.

-qu' avez-vous donc à faire de si pressé ?

-il faut que j' aille chez le commissaire de police.

-pourquoi ne chargez-vous pas quelqu' un de cettemission qui peut vous rendre plus malade encore ?

-c' est la seule chose qui puisse me guérir. Ilfaut que je la voie. Depuis que j' ai appris sa mort,et surtout depuis que j' ai vu sa tombe, je ne dorsplus. Je ne peux pas me figurer que cette femme quej' ai quittée si jeune et si belle est morte. Ilfaut que je m' en assure par moi-même. Il faut queje voie ce que Dieu a fait de cet être que j' aitant aimé, et peut-être le dégoût du spectacleremplacera-t-il le désespoir du souvenir ; vousm' accompagnerez, n' est-ce pas... si cela ne vousennuie pas trop ?

-que vous a dit sa soeur ?

-rien. Elle a paru fort étonnée qu' un étrangervoulût acheter un terrain et faire faire une tombeà Marguerite, et elle m' a signé tout de suitel' autorisation que je lui demandais.

-croyez-moi, attendez pour cette translationque vous soyez bien guéri.

-oh ! Je serai fort, soyez tranquille. D' ailleursje deviendrais fou, si je n' en finissais au plusvite avec cette résolution dont l' accomplissementest devenu un besoin de ma douleur. Je vous jure queje ne puis être calme que lorsque j' aurai vuMarguerite. C' est peut-être une soif de la fièvrequi me brûle, un rêve de mes insomnies, un résultatde mon délire ; mais dussé-je me faire trappiste,comme M De Rancé, après avoir vu, je verrai.

-je comprends cela, dis-je à Armand, et je suistout à vous ; avez-vous vu Julie Duprat ?

-oui. Oh ! Je l' ai vue le jour même de monpremier retour.-vous a-t-elle remis les papiers que Margueritelui avait laissés pour vous ?

-les voici.

Armand tira un rouleau de dessous son oreiller,et l' y replaça immédiatement.

-je sais par coeur ce que ces papiers renferment,me dit-il. Depuis trois semaines je les ai relusdix fois par jour. Vous les lirez aussi, mais plustard, quand je serai plus calme et quand je pourraivous faire comprendre tout ce que cette confessionrévèle de coeur et d' amour.

Pour le moment, j' ai un service à réclamer de vous.

-lequel ?

-vous avez une voiture en bas ?

-oui.

-eh bien, voulez-vous prendre mon passeport etaller demander à la poste restante s' il y a deslettres pour moi ? Mon père et ma soeur ont dûm' écrire à Paris, et je suis parti avec une telleprécipitation que je n' ai pas pris le temps de m' eninformer avant mon départ. Lorsque vous reviendrez,nous irons ensemble prévenir le commissaire depolice de la cérémonie de demain.

Armand me remit son passeport, et je me rendisrue Jean-Jacques-Rousseau.

Il y avait deux lettres au nom de Duval, je lespris et je revins.

Quand je reparus, Armand était tout habillé etprêt à sortir.

-merci, me dit-il en prenant ses lettres. Oui,ajouta-t-il après avoir regardé les adresses, oui,c' est de mon père et de ma soeur. Ils ont dû nerien comprendre à mon silence.

Il ouvrit les lettres, et les devina plutôt qu' ilne les lut, car elles étaient de quatre pageschacune, et au bout d' un instant il les avait repliées.

-partons, me dit-il, je répondrai demain.Nous allâmes chez le commissaire de police, àqui Armand remit la procuration de la soeur deMarguerite.

Le commissaire lui donna en échange une lettred' avis pour le gardien du cimetière ; il futconvenu que la translation aurait lieu le lendemain,à dix heures du matin, que je viendrais le prendreune heure auparavant, et que nous nous rendrionsensemble au cimetière.

Moi aussi, j' étais curieux d' assister à ce spectacle,et j' avoue que la nuit je ne dormis pas.

à en juger par les pensées qui m' assaillirent, cedut être une longue nuit pour Armand.

Quand le lendemain à neuf heures j' entrai chezlui, il était horriblement pâle, mais il paraissaitcalme.

Il me sourit et me tendit la main.

Ses bougies étaient brûlées jusqu' au bout, et,avant de sortir, Armand prit une lettre fortépaisse, adressée à son père, et confidente sansdoute de ses impressions de la nuit.

Une demi-heure après nous arrivions à Montmartre.

Le commissaire nous attendait déjà.

On s' achemina lentement dans la direction de latombe de Marguerite. Le commissaire marchait lepremier, Armand et moi nous le suivions àquelques pas.

De temps en temps je sentais tressaillirconvulsivement le bras de mon compagnon, comme sides frissons l' eussent parcouru tout à coup. Alors,je le regardais ; il comprenait mon regard et mesouriait, mais depuis que nous étions sortis dechez lui, nous n' avions pas échangé une parole.Un peu avant la tombe, Armand s' arrêta pouressuyer son visage qu' inondaient de grosses gouttesde sueur.

Je profitai de cette halte pour respirer, carmoi-même j' avais le coeur comprimé comme dans unétau.

D' où vient le douloureux plaisir qu' on prend à cessortes de spectacles ! Quand nous arrivâmes à latombe, le jardinier avait retiré tous les pots defleurs, le treillage de fer avait été enlevé, etdeux hommes piochaient la terre.

Armand s' appuya contre un arbre et regarda.Toute sa vie semblait être passée dans ses yeux.Tout à coup une des deux pioches grinça contreune pierre.

à ce bruit Armand recula comme à une commotionélectrique, et me serra la main avec une telleforce qu' il me fit mal.

Un fossoyeur prit une large pelle et vida peu àpeu la fosse ; puis, quand il n' y eut plus que lespierres dont on couvre la bière, il les jeta dehorsune à une.

J' observais Armand, car je craignais à chaqueminute que ses sensations qu' il concentraitvisiblement ne le brisassent ; mais il regardaittoujours ; les yeux fixes et ouverts comme dans lafolie, et un léger tremblement des joues et deslèvres prouvait seul qu' il était en proie à uneviolente crise nerveuse.

Quant à moi, je ne puis dire qu' une chose, c' estque je regrettais d' être venu.

Quand la bière fut tout à fait découverte, lecommissaire dit aux fossoyeurs :

-ouvrez.

Ces hommes obéirent, comme si c' eût été la chosedu monde la plus simple.

La bière était en chêne, et ils se mirent àdévisser la paroi supérieure qui faisait couvercle.L' humidité de la terre avait rouillé les vis etce ne fut pas sans efforts que la bière s' ouvrit.Une odeur infecte s' en exhala, malgré les plantesaromatiques dont elle était semée.

-ô mon dieu ! Mon dieu ! Murmura Armand, etil pâlit encore.

Les fossoyeurs eux-mêmes se reculèrent.Un grand linceul blanc couvrait le cadavre dont ildessinait quelques sinuosités. Ce linceul étaitpresque complètement mangé à l' un des bouts, etlaissait passer un pied de la morte.

J' étais bien près de me trouver mal, et à l' heureoù j' écris ces lignes, le souvenir de cette scènem' apparaît encore dans son imposante réalité.

-hâtons-nous, dit le commissaire.

Alors un des deux hommes étendit la main, semit à découdre le linceul, et le prenant par lebout, découvrit brusquement le visage de Marguerite.C' était terrible à voir, c' est horrible à raconter.Les yeux ne faisaient plus que deux trous, leslèvres avaient disparu, et les dents blanchesétaient serrées les unes contre les autres. Leslongs cheveux noirs et secs étaient collés surles tempes et voilaient un peu les cavités vertesdes joues, et cependant je reconnaissais dans cevisage le visage blanc, rose et joyeux que j' avaisvu si souvent.

Armand, sans pouvoir détourner son regard decette figure, avait porté son mouchoir à sa boucheet le mordait.

Pour moi, il me sembla qu' un cercle de ferm' étreignait la tête, un voile couvrit mes yeux,des bourdonnements m' emplirent les oreilles, ettout ce que je pus faire fut d' ouvrir un flaconque j' avais apporté à tout hasard et de respirerfortement les sels qu' il renfermait.

Au milieu de cet éblouissement, j' entendis lecommissaire dire à M Duval :

-reconnaissez-vous ?

-oui, répondit sourdement le jeune homme.

-alors fermez et emportez, dit le commissaire.Les fossoyeurs rejetèrent le linceul sur le visagede la morte, fermèrent la bière, la prirent chacunpar un bout et se dirigèrent vers l' endroit queleur avait été désigné.

Armand ne bougeait pas. Ses yeux étaient rivésà cette fosse vide ; il était pâle comme le cadavreque nous venions de voir... on l' eût dit pétrifié.Je compris ce qui allait arriver lorsque la douleurdiminuerait par l' absence du spectacle, et parconséquent ne le soutiendrait plus.

Je m' approchai du commissaire.

-la présence de monsieur, lui dis-je en montrantArmand, est-elle nécessaire encore ?

-non, me dit-il, et même je vous conseille del' emmener, car il paraît malade.

-venez, dis-je alors à Armand en lui prenant lebras.

-quoi ? Fit-il en me regardant comme s' il nem' eût pas reconnu.

-c' est fini, ajoutai-je, il faut vous en aller,mon ami, vous êtes pâle, vous avez froid, vousvous tuerez avec ces émotions-là.

-vous avez raison, allons-nous-en, répondit-ilmachinalement, mais sans faire un pas.

Alors je le saisis par le bras et je l' entraînai.

Il se laissait conduire comme un enfant, murmurantseulement de temps à autre :

-avez-vous vu les yeux ?

Et il se retournait comme si cette vision l' eûtrappelé.

Cependant sa marche devint saccadée ; il semblaitne plus avancer que par secousses ; ses dentsclaquaient, ses mains étaient froides, une violenteagitation nerveuse s' emparait de toute sa personne.Je lui parlai, il ne me répondit pas.

Tout ce qu' il pouvait faire, c' était de se laisserconduire.

à la porte nous retrouvâmes une voiture. Il étaittemps.

à peine y eut-il pris place, que le frissonaugmenta et qu' il eut une véritable attaque denerfs, au milieu de laquelle la crainte dem' effrayer lui faisait murmurer en me pressantla main :

-ce n' est rien, ce n' est rien, je voudrais pleurer.Et j' entendais sa poitrine se gonfler, et le sangse portait à ses yeux, mais les larmes n' yvenaient pas.

Je lui fis respirer le flacon qui m' avait servi, etquand nous arrivâmes chez lui, le frisson seul semanifestait encore.

Avec l' aide du domestique, je le couchai, je fisallumer un grand feu dans sa chambre, et je couruschercher mon médecin à qui je racontai ce quivenait de se passer.

Il accourut.

Armand était pourpre, il avait le délire, etbégayait des mots sans suite, à travers lesquelsle nom seul de Marguerite se faisait entendredistinctement.

-eh bien ? Dis-je au docteur quand il eut examinéle malade.

-eh bien, il a une fièvre cérébrale ni plus nimoins, et c' est bien heureux, car je crois, Dieume pardonne, qu' il serait devenu fou. Heureusementla maladie physique tuera la maladie morale, etdans un mois il sera sauvé de l' une et de l' autrepeut-être.

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